logo_ores_et_audace
PANA9166

Trek en Islande, une traversée Nord-Sud en autonomie

La traversée de l’Islande à pied et en autonomie complète restera probablement l’une des plus belles expériences de notre vie de nomade. Le centre du pays, aussi appelé les Highlands, est une destination encore méconnue du grand public. Ce trek en Islande est un pèlerinage au cœur d’une nature brute et sauvage. Du désert d’Ódáðahraun au glacier de Vatnajökull, vous découvrirez une autre facette de cette ile, plus solitaire et authentique. 

Pourquoi la traversée de l'Islande à pied est-elle une expérience inoubliable ?

« Le désert, ce n’est pas un peu redondant à force ?«  Enlevez-vous cette idée de la tête. En toute transparence, nous avions cette appréhension avant notre départ. Mais, après avoir vécu cette expérience, et découvert la multitude de paysages que les Highlands cachent secrètement, nous pouvons vous dire que vous ne serez pas déçus. La lumière, l’eau, le vent sont des facteurs clefs de l’environnement islandais. Ils modifient la morphologie de chaque paysage. Ils les subliment, les transforment. On y retrouve des paysages uniques sur Terre, des étendues de laves millénaires et des plaines façonnées par les rivières glacières.

Après notre traversée des Alpes suisses en 2020, nous voulions absolument réitérer l’expérience d’un trek en Islande de plusieurs semaines. Nous avions envisagé (et nous l’envisageons toujours) de parcourir le Pacific Crest Trail aux États-Unis ou le Te Ararora en Nouvelle-Zélande. Mais, avec « seulement » deux semaines de vacances au programme, nous ne pouvons envisager que des destinations européennes. Rapidement, l’Islande est devenue une option sérieuse. Ce pays était sur notre bucket-list depuis longtemps. Souvent présentée comme la destination phare du road-trip, nous n’avions jamais imaginé pouvoir traverser à pied la partie centrale de cette ile. Après quelques recherches, nous sommes tombés sur cet article datant de 2007 et sur le récit de Tortuga. Il n’en fallait pas plus pour nous convaincre. Le voyage s’est organisé dans la précipitation (deux semaines), mais l’envie de découvrir cette ile nous a motivés à repousser nos limites !

Lors de notre préparation d’itinéraire, nous savions d’ores et déjà que ce trek serait très différent de nos précédents. Habituée à nous concentrer presque uniquement sur le dénivelé, notre nouvelle unité de mesure devint le kilomètre. Nous avions pour objectif de parcourir entre 25 et 35 kilomètres par jour. 

Cette aventure est sans doute une des plus mémorables et inoubliables de nos différents voyages, en termes de paysages, d’ambiance ou d’expérience. Alors si un jour l’idée un peu folle de traverser l’Islande vous caresse l’esprit, n’hésitez pas. Regardez la météo et lancez-vous !

PANA8095

— avant de partir

▸Météo

Peu importe la destination, vérifier les conditions météorologiques est une obligation pour voyager en toute sécurité. Pour la traversée de l’Islande, c’est INDISPENSABLE ! Dans notre cas, nous avons utilisé les prévisions de Windy. Avant notre départ, nous avons fait des captures d’écrans jour par jour afin de nous donner une idée du temps à venir. Durant le périple, dès que nous avions un peu de connexion internet, nous renouvelions nos prévisions. Le temps change si vite que je vous conseille de vous munir d’une balise qui vous permette de recevoir des bulletins météo quotidiennement. Par ailleurs, n’hésitez pas à vous référer aux sites Icelandic Met Office et Safetravel.is (référence les alertes météorologiques du pays). Ce n’est pas une donnée à négliger.

▸ Équipements

Retrouver notre article Trek en Islande | Packing liste ici.

Le système des trois couches est évidemment à privilégier (sous couche thermique, polaire et couche isolante). Prévoyez également des vêtements imperméables – pantalons et poncho de pluie. Je ne saurai que vous conseiller d’avoir une doudoune bien chaud à mettre en arrivant au camp ou durant les pauses.

▸Gérer l'eau durant la traversée

La gestion de l’eau est un facteur essentiel de la réussite d’un trek en autonomie. Il l’est d’autant plus dans un environnement désertique comme l’Islande. Car si vous pouvez croiser cinq ou six gués sur certaines sections du parcours, il est aussi probable que vous ne rencontriez aucune source durant plusieurs jours. Nous ne nous risquerons pas à indiquer sur une carte à quel endroit est-ce que nous avons pu trouver de l’eau. Le terrain changeant d’une saison sur l’autre. Le seul conseil que nous pourrions vous donner est d’étudier en profondeur le peu de cartes qui sont mises à notre disposition sur les Highlands (et d’être prévoyant !)

Jour 1

— Grand départ pour les Highlands islandaise

DISTANCE

10,6 km

TEMPS

3H

DÉNIVELÉ

D+ 40 | D- 00

NUITÉE

Bivouac

Premier pas vers la solitude

Il est un peu plus de 14h quand nous faisons nos premiers pas dans les Highlands islandais. Depuis Akureyri, nous avons fait de l’auto-stop. Après 30 minutes à attendre sous la pluie, un kangoo s’est arrêté à notre niveau. Une dame d’origine finnoise nous fait signe de monter. Au chaud dans la voiture, les paysages défilent. C’est notre premier véritable contact avec les plaines islandaises. La voiture roule vite. La vitesse est grisante. Nous savons que ces prochaines semaines seront rythmées par l’allure de nos pas.

Fini les moteurs, place à la lenteur. Nous arrivons au croisement où Astride doit nous déposer. Elle nous souhaite bonne chance et repart. Cela marque le début de notre périple. L’un après l’autre, nous chargeons nos sacs sur le dos et ajustons les sangles. « P*tain, c’est lourd !” Les sacs sont remplis d’eau, de vêtements, de nourritures. Tout ce qu’il faut pour vivre 14 jours dans le désert. Tout seul au bord de la route, il est temps de partir. Un pas. Le premier d’une longue série.

Un kilomètre après l’autre, nous avançons le moral au beau fixe ! Autour de nous, les plaines sont couvertes d’herbes sèches et s’étendent à perte de vue. D’ici, le ciel nous semble plus grand. Nous nous éloignons rapidement de la route par un chemin marqué par les roues d’un 4×4. Sur la terre ocre, ces fines pistes tassées nous serviront de guides tout au long du voyage.

C’est ainsi que nous avons entamé notre aventure sur les sentiers en islandais. Après une dizaine de kilomètres, le ciel s’encombre peu à peu de nuages menaçants. La pluie n’est pas loin. Bien que le soleil soit encore debout, il est déjà temps de trouver un coin pour la nuit. Nous installons notre bivouac sur le flanc d’un petit monticule de terre, à l’abri du vent. Les petites gouttes laissent place aux premières averses. Malgré le temps, je n’ai besoin que de quelques secondes pour m’endormir, épuisées, mais comblées par cette aventure qui ne fait que commencer.

Jour 2

— Ode à l'horizon

DISTANCE

33,4 km

TEMPS

10H30

DÉNIVELÉ

D+ 166 | D- 17

NUITÉE

Cabane

Malgré le temps agité de cette nuit, j’ai dormi d’un sommeil profond et réparateur. Ce matin, nous nous levons naturellement avec les premières lueurs du soleil. Quel bonheur ! Dehors, les herbes couleur de rouille sont encore humides de la nuit. Le camp est vite plié. Nous avons hâte de nous mesurer à cet horizon. 

Première traversée (glaciale) d'un gué

Du haut d’une petite butte, nous apercevons une tranchée dans la plaine. Une cicatrice de plusieurs kilomètres qui prend naissance au creux d’une colline : notre premier gué que nous devrions atteindre dans un peu moins d’une heure. Rapidement, le filet d’eau que nous avions vu au loin se densifie peu à peu pour devenir une large rivière. C’est notre première traversée. Nous prenons le temps d’analyser cet obstacle. Le courant n’est pas très fort, mais le gué semble profond. Pas le choix ! Chaussures, chaussettes, pantalons sont enlevés et attachés sur nos sacs. Moment de vérité pour nos chaussons en néoprène. Antoine s’engage le premier, puis c’est à mon tour. L’eau est si froide que j’ai l’impression que ma peau brûle. Je m’enfonce peu à peu jusqu’à atteindre le haut de mes cuisses. Les muscles de mes jambes se raidissent malgré moi au contact de ce liquide glacé. Il faut avancer sans précipitation. Nos bâtons nous sont d’une grande aide, car nous avons clairement minimisé la force du courant. En sous-vêtement, nos énormes sacs sur le dos, drôle de spectacle ! Arrivés sur l’autre rive, nous prenons le temps de nous sécher les pieds et de manger un morceau avant de repartir.

Des plaines désertiques à l'horizon

Les herbes qui bordaient le chemin laissent peu à peu place à une terre nue et aride. Les cailloux ocre se fondent maintenant dans des plaines, de plus en plus sombres. Notre objectif est de parcourir 30 kilomètres chaque jour de la traversée de l’Islande. Pour nous, davantage habitué au dénivelé, le challenge est grand. Nous essayons donc de nous tenir à une méthode, à un rythme. Pause de 10 minutes tous les 5 kilomètres et déjeunez à 15 kilomètres. Les premières sections sont difficiles. Le temps défile, mais nous avons l’impression de ne pas avancer. Ma montre qui m’indique les distances parcourues joue avec mes nerfs. Cette sensation est amplifiée par les sentiers plats, en ligne droite 

« À peine nous dépassons l’horizon que nous nous noyons dans la suivante. Chaque colline devient un point de repère. Alors, on imagine la distance à parcourir pour la rejoindre. Notre échelle est déréglée, troublée par cet environnement nouveau. On se rattrape donc au temps, au chiffrage de la distance. C’est une vérité qui peut ne pas sembler très romantique, peut-être même à l’encontre de l’idée du vagabondage. Il n’empêche que cela nous a permis d’avancer. »

Très vite, nous nous apercevons que le vent est omniprésent en Islande. Bien sûr, nous l’avions lu ! Bien sûr, on nous l’avait dit ! Mais on ne se serait pas douté qu’il allait nous accompagner – littéralement – tout le voyage. Souvent de face (car nous marcherons vers le Sud), des bourrasques à 50 km/h viennent régulièrement casser notre rythme. Mais plus qu’une gêne physique, il sifflote continuellement à nos oreilles. Le vent chasse le silence. Toutes ces remarques s’estompent au fil des pas, puisqu’on s’en accommode petit à petit. Et s’habituer à ce compagnon invisible n’est pas anodin, car il nous en fait voir de toutes les couleurs.

Nuitée confortable à Botni hut

Plus nous nous enfonçons dans les Highlands, plus la terre ocre laisse apparaître des vagues de laves solidifiées. Bientôt, nous sommes entourés par un champ de roches noires. Les sillages des 4×4 que nous suivions depuis le début ne sont plus visibles. Le chemin est maintenant balisé par des poteaux de bois peint en jaune. Au trentième kilomètre, nous sommes à plat. La fatigue nous scie les mollets et rend nos orteils douloureux. Mais il n’est pas encore le temps de s’arrêter. Il nous reste 2 kilomètres pour atteindre une cabane – Botni hut. Nous ne savons pas si elle est ouverte. Peu importe. Un lac se trouve juste à côté et nous avons besoin d’eau pour les prochains jours. Difficilement, nous atteignons la cabane. Quel bonheur ! 

Cette petite maison est parfaitement aménagée : de nombreuses couchettes (matelas, oreiller, etc ..), une petite cuisine avec ces ustensiles, des sanitaires à l’extérieur… Et un poêle à gaz ! Oui Madame, oui Monsieur, un poêle à gaz ! Nous n’hésitons pas une seconde et décidons de dormir à l’intérieur. Dehors, le froid, mais surtout le vent fait rage. Il ne faut pas une minute pour que nous nous effondrions de fatigue. À noter qu’il faut laisser un peu d’argent dans une petite boîte à l’intérieur de la cabane. Ce petit confort au milieu de rien à un coût.

Plus d’information sur the Touring club of Akureyri qui gère ce refuge, rendez-vous sur leur site.

JOUR 3

— Tempête dans le désert d'Ódáðahraun

DISTANCE

21,1 km

TEMPS

6H

DÉNIVELÉ

D+ 244 | D- 10

NUITÉE

Cabane

Ódáðahraun, le désert de lave des criminels

Encore une fois, nous nous levons avec le soleil. Nos sacs sont vite bouclés, car nous avons utilisé très peu de matériel la veille. Nous prenons soin de refermer minutieusement les fenêtres et disons adieu à cette petite maison. Nous nous enfonçons dans le désert d’Ódáðahraun qui signifie « désert de lave des criminels ». La légende raconte que l’on y envoyait errer les hors-la-loi pour y mourir. Cette sinistre information y est vite oubliée lorsqu’on se trouve au milieu de cette étendue rocailleuse. Le chemin sillonne les coulées de lave cristallisées, les morceaux de croûte fendue et des flaques de poussière volcanique. La marche sur ce terrain n’est pas anodine. Votre pied passe continuellement d’un sol très dur à tendre (pour ne pas dire mou). Il est donc difficile de conserver un véritable rythme. Cet environnement peut sembler inhospitalier (et il l’est probablement), mais il n’en reste pas moins époustouflant. Ce désert ne ressemble à rien que nous avions connu. À celui qui pense que les Highlands sont monotones, détrompe-toi ! Pas besoin d’être géologue pour apprécier toute la diversité les terrains de cette traversée de l’Islande. Car après les coulées de lave, ce sont les étendues de sable.

Direction la caldeira d'Askja

 Vers 11h, le temps change d’un coup. Des nuages se forment en couche basse et le vent se lève. Nous sentons que quelque chose se prépare, mais l’excitation surpasse la prudenceNous nous rapprochons du premier véritable relief du périple : la caldeira d’Askja. L’objectif du jour est de dormir près du cratère de Viti qui se trouve juste à côté du grand lac d’Öskjuvatn. 600 mètres de dénivelé positif nous attendent. Après ces quelques jours de plats, rien ne nous ferait plus plaisir. Il est 12h quand les premières bourrasques se déclenchent. L’estomac dans les talons, nous choisissons de nous abriter derrière le seul rocher du plateau. Mais la pause est de courte durée. Après avoir avalé un mélange de semoule et de sable, nous repartons, bien décidés à avancer tant bien que mal.

Nous nous rapprochons de l’embouchure de la vallée qui nous amène vers l’ascension d’Askja. Autour de nous, les roches se sont transformées en sable. La force des rafles décolle des nuées de poussières du sol qui vient nous fouetter le visage. Conscient que la situation ne fera qu’empirer, nous tentons de protéger nos yeux. Lunette et Buff sur le visage, il faut limiter les dégâts. Nous avançons tant bien que mal, titubant en direction de la vallée. L’horizon est obstrué par les nuages de poussière, mais la succession de poteaux jaunes nous guide. La tempête ne se calme pas. Nous savons qu’une cabane se trouve sur notre itinéraire. Nous décidons d’y faire un crochet pour reprendre notre souffle. Il s’agit de la sœur jumelle de Botni – Dyngjufell hut. Même organisation et même confort. Il est 14h et le vent ne se calme pas… C’est avec beaucoup de regret que nous décidons de nous arrêter ici. Dehors, les nuées de sable rendent très difficile la progression et occultent le paysage. Dommage… Nous dépoussiérons le matériel et prenons un moment pour calculer la suite de l’itinéraire.

Qu’est-ce qu’une caldeira ? Une caldeira est un cratère volcanique en ellipse ou circulaire qui peut atteindre plusieurs kilomètres de diamètre.

Islande_j2_brouillard_volcanique_bleu

Nuit réconfortante au refuge de Dyngjufell

Avec seulement 21 km au compteur, nous prenons un peu de retard. Tant pis. Nous nous délectons de ce confort au milieu de ce trek en Islande. Plus tard, deux amis/voyageurs nous rejoignent. Dave et Ruri ont également essuyé la tempête. Nous partageons un repas et profitons des derniers rayons de soleil pour faire des photos à l’extérieur. Nous savons que durant les 2 prochains jours, nous ne croiserons aucun gué. Forte heureusement, un petit cours d’eau passe juste à côté de Dyngjufell hut. Filtrer l’eau et remplir les gourdes nous occupe une bonne partie de la soirée. Petit thé et au lit !

Plus d’information sur the Touring club of Akureyri qui gère ce refuge, rendez-vous sur leur site.

Islande_j2_ciel_red_montagne_river

Jour 4

— Découverte du glacier de Vatnajökull

DISTANCE

34 km

TEMPS

10H30

DÉNIVELÉ

D+ 288 | D- 131

NUITÉE

bivouac

Traversée des collines colorées

Ce matin, pour rattraper le retard de la veille, nous partons tôt, laissant nos camarades d’un soir dans la maisonnette. Le vent de cette nuit a balayé nos traces de la veille. Nous prenons donc la route en direction d’un premier col. Enfin, ce qui est défini comme un col, mais ce n’est qu’un long et interminable plat montant. À cause de la tempête d’hier, nous devons modifier quelque peu notre itinéraire en modulant nos étapes.

Nous poursuivons notre chemin. Les collines semblent modelées au gré du vent. On distingue sur leurs flancs le passage de l’eau qui dessine de petites rainures noircies. Parfois, le fin gravier anthracite laisse apparaître des taches de couleurs éclatantes. Ce nuancier de rouge à l’ocre contraste alors avec les monticules de glace qui transparaissent à travers le sable.

islande_j3_valley_Askja_path

On a marché sur la Lune

Très vite, nous quittons les reliefs pour nous aventurer une nouvelle fois dans le désert. Adieu à ces grandes murailles qui nous protégeaient du vent. Face à nous, nous apercevons une fine ligne horizontale étincelante. Il s’agit du glacier de Vatnajökull. Il se trouve à une trentaine de kilomètres vers le Sud, mais on distingue clairement les reflets du soleil sur la neige. Si tout se passe bien, nous devrions l’atteindre dans la soirée. Un immense plateau nous sépare. Ce nouveau désert est encore bien différent de ce que nous avons traversé. Imaginez un tapis de sable fin couleur encre, puis minutieusement disposé par-dessus, des millions de petits cailloux métalliques aux formes acérées.

Nous suivons le chemin tracé d’un 4×4, car hors sentier, le sol est complètement meuble. Amis cyclistes, attention à vos pneus ! Car même sur la piste, nos pas s’enfoncent de plusieurs centimètres dans le sable. La matinée se déroule sans encombre. Nous sommes d’une énergie folle, bien décidés à rattraper notre retard de la veille. Il n’est pas encore midi quand nous atteignons le kilomètre 17. Il est temps de s’arrêter. Nous prenons le temps de déjeuner, dissimulé derrière un rocher (toujours à l’abri du vent !). Ce quatrième déjeuner de notre trek en Islande conforte notre choix d’investir dans un nouveau réchaud. Fini les flammes, bonjour le gaz !

 Retrouver notre article Trek en Islande | Packing liste ici.

Rencontre avec le glacier de Vatnajökull

Nous repartons le ventre plein. Désormais, le sable recouvre complètement la roche. Le désert dans lequel nous errons se confond avec l’horizon. Seuls les reflets étincelants du glacier de Vatnajökull nous guident. Comme un phare au bord de l’océan, il oriente notre route et conseille nos pas. Peu à peu, celui qui nous servait de balise devient de plus en plus grand et s’étend maintenant de part en part de l’horizon. Quelques kilomètres nous séparent encore de ce mur de glace, mais notre vision est maintenant complètement obstruée par des collines de sable d’une cinquantaine de mètres. La piste change alors de direction pour contourner le Vatnajökull. Les premières douleurs se font ressentir au bout de 26 kilomètres, nous décidons de pousser l’effort jusqu’au 33ᵉ dans l’espoir de trouver un spot de tente à l’abri du vent. Entre deux monticules de sable noir, nous décidons de nous établir pour la nuit. Enlever ces chaussures après une journée de marche intense est toujours un irrésistible bonheur. La sensation de ses orteils dans le sable frais, de ces millions de petites billes qui glissent sous la plante du pied et massent délicatement la peau endolorie. Bienheureux est celui qui trouve ses plaisirs dans les choses simples.

Nous nous couchons avec l’agréable impression que nous avons passé un cap : notre corps sait maintenant que cette marche sera longue. Sans parler d’habitude, le moteur a compris que la tête était aux commandes.

Jour 5

— Sable, vent et contre-temps

DISTANCE

17,2 km

TEMPS

5H45

DÉNIVELÉ

D+ 275 | D- 85

NUITÉE

Cabane

Une nuit sous le sable

Au beau milieu de la nuit, je me réveille avec la désagréable impression que mon visage est recouvert d’une fine pellicule de poussière. Je me débats quelques secondes pour sortir mes mains de mon sac de couchage. Ce n’est que lorsque j’effleure la surface de mon matelas que je comprends : nous sommes littéralement ensablés. Qui aurait cru que le vent serait aussi vicieux ? En changeant de sens durant la nuit, de petites nuées de sable s’engouffrent sous la première couche de la tente et passent à travers la moustiquaire de la seconde. Cette dernière agit comme un tamis et seuls les plus petits grains se répandent sur nos affaires. Quelle angoisse ! Tout notre équipement est recouvert de ses particules granuleuses. Avec l’agitation, Antoine se réveille et nous essayons tant bien que mal de dépoussiérer sac de couchage, matelas, vêtement, etc. Heureusement, les housses ont protégé le matériel électronique. Pour le reste, c’est peine perdue ! C’est comme essayer de vider la mer avec une passoire. Antoine tente de construire un muret à l’extérieur afin de nous préserver un minimum. Il reste encore 3h avant que le soleil ne se lève et nous décidons de nous rendormir. Les événements de la nuit auraient dû nous mettre la puce à l’oreille, car les tumultes ne faisaient que commencer !

Mirage sur le glacier de Vatnajökull

Bizarrement, nous nous réveillons en forme et déterminés. Le chantier de cette nuit n’a pas altéré notre motivation et nous commençons à déblayer nos affaires. Un par un, nous secouons et brossons chacune des pièces de notre équipement. Si le plus gros est enlevé, impossible de venir à bout de cette poussière noire et collante. La route sera longue aujourd’hui et nous n’avons pas de temps à perdre. Nous prenons le chemin de bonne humeur, amusés par cette petite mésaventure nocturne.

De nouveau, nous longeons les dunes de sable noir qui contournent le glacier par l’ouest. Finalement, l’envie est trop forte et nous décidons d’en gravir une afin d’apercevoir Vatnajökull, dissimulé derrière la veille. Nous découvrons alors un spectacle époustouflant. Les dunes noires chutent et dégoulinent sur un plateau désertique de plusieurs hectares. Celui-ci est balayé par des nuées de poussières étincelantes à la lumière des premiers rayons. Elles courent et virevoltent de part et d’autre du désert, changeant de couleur au gré du soleil. Tantôt ocre ou noir puis doré et argenté, ce pollen minéral prend vie. À l’autre bout de la plaine, les séracs du glacier sont noircis par les cendres du désert. Seule la surface lointaine de Vatnajökull est immaculée. Elle apparaît à l’horizon et semble vouloir percer le ciel à travers les nuages. Un des plus beaux moments de notre trek en Islande !

Islande_j4_Vatnajökull_desert_sand_light
Islande_j4_Vatnajökull_sun_desert_landscape_red

 « Il est de ces instants, où le voyageur à l’impression d’assister à quelque chose d’immuable, de plus grand que son périple ou même de son existence. Il serait profondément anthropocentrique que d’identifier ce moment comme un « cadeau de la Nature ». Ce spectacle que nous contemplons se serait produit sans notre présence. 

Ces nuées ne dansaient pas pour nous. Mais, nous avons eu la réconfortante impression d’avoir assisté à quelque chose d’aussi merveilleux que naturel. »

Islande_j4_Vatnajökull_sand_landscape_light

Route vers le cratère d'Urðarháls

Comblés par cette vision, nous reprenons la piste qui traverse le plateau. Rapidement, nous comprenons que les délicates nuées de poussières dorées que nous avons observées un peu plus tôt ressemblent davantage à des essaims d’abeilles. Par rafales, elles se heurtent à notre peau, comme des millions de petits impacts sur notre visage. Ces bourrasques nous obligent à redoubler d’attention quant à notre environnement – toujours aussi spectaculaire. Nous approchons encore des séracs du Vatnajökull. Ceux-ci se dessinent encore un peu plus précisément. La piste bifurque ensuite pour rejoindre un amas de rochers. Nous croisons un panneau de circulation, ou plutôt ce qu’il en reste. Enfouie dans le sable, seule la pointe dépasse encore comme un vestige englouti par le désert.

Nous atteignons ensuite l’immense cratère de Urðarháls. Perdue au milieu de nulle part, une petite station météo nous rappelle que nous appartenions encore au monde des humains. Les rafales s’intensifient et gagnent en puissance. La petite hélice de la balise météorologique s’emballe. 

Tempête de sable en Islande

De notre point de vue, nous apercevons une petite cabane à une dizaine de kilomètres où nous abriter pour déjeuner. Pour la rejoindre, nous devons traverser un nouveau plateau. D’ici, la terre semble fumée. Des masses de poussières se déplacent à une vitesse folle. Elles s’élèvent à plusieurs mètres et retombent avec autant de violence que de souplesse. Pas le choix, nous devons avancer jusqu’à la hutte.

Les premiers kilomètres sont hésitants et nous devons lutter à chaque pas. Pourtant, la tempête s’intensifie encore. Rapidement, je suis aveuglée par le sable qui me fouette le visage. Malgré la superposition de mon cache-cou, de mes lunettes et de mon bonnet, les grains passent au travers des mailles et viennent se loger dans les plis de mon visage. Les yeux à demi ouverts, je distingue à peine Antoine qui marche à un mètre devant moi. Autour de nous, c’est la tempête. Nos bâtons de marche soulèvent des cailloux qui s’envolent comme des projectiles. Nous sommes enveloppés dans un épais brouillard de poussière ocre. Pas le temps de céder à la panique. L’adrénaline prend le dessus sur la fatigue et la peur. Nous gardons notre cap vers la cabane. Au paroxysme de la tempête, je peine à suivre Antoine. Tout devient un effort. Y compris ouvrir les yeux pour connaître la bonne direction. Finalement, nous apercevons la cabane, Kistufell hut. Quel soulagement !

Nous nous empressons de nous mettre à l’abri du vent, contre la porte de la cabane. Il nous faut quelques minutes pour réaliser l’épreuve que nous venons de traverser.

islande_j4_sand_desert_Kistufell_Mountain_Hut
islande_j4_sand_lena_desert_mountain

Kistufell hut, un refuge d'urgence

La cabane de Kistufell est plus petite que les précédentes. Un premier sas permet de laisser nos chaussures et l’équipement. On y trouve plusieurs bidons d’eau, vides pour la plupart. Malgré la proximité avec le glacier, cette zone du désert est aride à certaines périodes de l’année. Il est donc impératif de prévoir plusieurs jours de réserve d’eau. Nous n’avions pas croisé de gués depuis deux jours, mais l’avions pris en considération et fait des réserves dans notre package. C’est une autre leçon que nous nous répétons souvent : l’eau est inégalement répartie dans le pays. La seconde partie de la hutte dispose de quelques couchages, une table, un poêle et un radio pour les appels d’urgence. Il est à peine 14h, mais nous savons déjà que nous ne pourrons pas repartir cette après-midi. En effet, la météo annonce des rafales à plus de 80km/h toute la fin de journée et une partie de la nuit. Sous le parquet, nous sentons le vent qui se déchaîne et qui fait trembler la cabane.

Avec seulement 17 km, nous prenons beaucoup de retard et devons revoir notre itinéraire. À ce moment, nous suivons encore notre parcours initial de la traversée de l’Islande. Mais les portions journalières de chemin s’allongent petit à petit. Nous profitons donc de cette pause forcée pour nous reposer, étirer nos muscles endoloris (re)nettoyer notre équipement et prendre un bon repas. Nous nous endormons tôt, bercées par le sifflement incessant du vent à travers les planches.

Jour 6

— Seul dans les Highlands

DISTANCE

33,9 km

TEMPS

10H45

DÉNIVELÉ

D+ 219 | D- 328

NUITÉE

Bivouac

Après la tempête, le silence

En ouvrant la porte de la cabane ce matin, nous découvrons un nouveau paysage. La poussière ocre et éblouissante de la veille a laissé place à un brouillage bleuté et humide. Le sable mouillé est devenu gris. Mais ce qui nous frappe le plus, ce sont ces immenses nuages qui se sont formés au-dessus de nos têtes. Il s’agit de Mammatus, un phénomène météorologique qui arrive lors de la rencontre d’un air sec et humide. Loin de moi l’idée de faire un cours de science, nous étions juste bouches bée devant ces nuages. Pantalon de pluie, hardshell et protection pour nos sacs, ce matin nous sortons d’artillerie lourde. Nous sommes heureux de repartir enfin ! L’arrêt brutal de la veille nous a laissés sur notre faim. Malgré le froid, nous repartons guillerets, bien décidés à avancer. 

Ambiance mystique au cœur de la brume

Le chemin s’enfonce dans un épais brouillard moite et nous plonge dans une ambiance insoliteMême s’il ne pleut pas, nous sommes trempés ! L’humidité ambiante forme des gouttes épaisses. Il ne faut pas 5 minutes pour que nos gants en tissu soient complètement mouillés. Pas très étonnant, me direz-vous ! Mais avec une température autour de 0 C°, nos extrémités se refroidissent très rapidement. Parfois, le brouillard nous laisse un peu de répit et se dissipe. On peut alors admirer de magnifiques paysages aux allures crépusculaires. 

« Sur plusieurs kilomètres nous marcherons à travers cette brume en nous efforçant de suivre un cap. Finalement et par inadvertance, nous perdons peu à peu notre route et arrivons face à un mur de glace de plusieurs mètres. Il s’agit d’un glacier de Vatnajökull. Chacun de ces séracs est recouvert de poussières noires et laisse transparaître par endroits de petits cristaux blancs et brillants. »

 L’objectif est d’atteindre vers midi une cabane indiquée sur notre carte, où nous souhaitons nous faire une pause. Encore quelques kilomètres, qui se font cette fois sous quelques flocons de neige. La perspective d’un moment de repos au chaud dans une cabane au sec nous réjouit. Déjà 20 km à 12h. L’humidité ambiante tasse le sol et nous permet d‘aller un peu plus vite. Nous arrivons finalement à la maisonnette. Quelle ne fut pas notre déception lorsque nous nous apercevons qu’elle était fermée ! Maintenant, il pleut. Passé cette amère nouvelle, nous montons la toile supérieure de la tente afin de nous abriter. Ni une ni deux, nous sommes à peu près protégés de la pluie. Nous commençons donc à enlever notre hardshell trempé. Mes sous-couches sont intactes, j’enfile ma doudoune pour me réchauffer. Pour Antoine, c’est un peu plus compliqué. Sa hardshell n’a pas réussi à contenir l’humidité et l’eau a complètement imbibé sa polaire. Pas le choix, il faut l’enlever. Il est hors de question de rester avec un vêtement mouillé avec ce froid. Agglutiner autour du réchaud, petite et merveilleuse source de chaleur, nous reprenons des forces autour du déjeuner. Au menu, semoule/pesto, un plat rapide et réconfortant, qui a l’avantage de consommer peu d’eau.

Immobiles et recroquevillés sous la toile de tente, nous avons froid. Il faut bouger pour se réchauffer. Nous enfilons du hardshell et remettons nos chaussures. Les gants mouillés sont quant à eux complètement inutiles. À la place, j’enfile une paire de chaussettes en mérinos sur mes mains. Afin de protéger la laine de la pluie, j’ajoute un sac zipper par-dessus. Je précise que cette technique de très mauvais goût esthétique est d’une efficacité redoutable. Je referais sans hésiter (ou je prendrais des gants adaptés …) il y a des moments pour être élégante et d’autres pour avoir chaud !

Un, deux, trois, quatres, cinq, ... gués.

En début d’après-midi, la brume se dissipe et nous retrouvons l’horizon. Quel bonheur ! Nous rencontrons alors une piste de 4*4. Du haut d’une petite colline, on aperçoit plusieurs gués à franchir. Nous les avions évités depuis, mais là, c’est inéluctable. Notre proximité avec le glacier de Vatnajökull crée des centaines de petites rivières qui s’écoulent sur la plaine. En une après-midi, nous en traversons plus de six. Impossible d’y couper. À chaque fois, il faut enlever ses chaussures, ses chaussettes, son pantalon et enfiler nos chaussons en néoprène, plonger ses pieds dans l’eau glacée puis avancer. Le courant est souvent assez fort et il faut choisir son parcours stratégiquement – là où la rivière est large (pour ne pas avoir un courant trop fort) et peu profonde (pour ne pas s’enfoncer jusqu’à la taille). Lorsque le plus dur est fait, il faut encore se sécher les pieds et remettre son attirail. Cette opération casse notre rythme de marche et c’est épuisant. Mais le pire dans ces arrêts répétés est le fait de remettre son sac et de le caler correctement sur les hanches. Bien que je me sois habitué à ce package lourd, mes hanches sont continuellement blessées par la ceinture de mon sac. Il n’y a pas de secret et mon sac a beau être très très bien rembourré, la partie osseuse de mes hanches et de mon dos est complètement irritée. J’ai donc un long et rigoureux processus pour placer mes couches de vêtements une à une, attacher la ceinture ventrale et la serrer afin qu’il n’y ait pas de friction possible. Alors, lorsque nous passons un gué, c’est la même rengaine, la même histoire !

Le Monument Valley islandais

En fin d’après-midi, nous arrivons devant un paysage incroyable. Nous l’appellerons le “Monument Valley islandais” ! Une légère brume vient caresser deux immenses colosses de roches noirs qui trônent au milieu du désert. La face immaculée du glacier de Vatnajökull déferle sur la plaine en une centaine de filets d’eau clairs. L’eau est l’architecte de cette île. Ce trek en Islande nous l’a prouvé à mainte reprise. Si les terres sont façonnées par les volcans, les gués trouvent leurs chemins et dessinent ces traits. Malgré un début de journée difficile, c’était une délicieuse et magnifique fin d’étape. Et pour couronner le tout, nous recroisons nos compagnons irlandais, Dave et Ruairi. Cet intermède de socialisation n’est pas pour nous déplaire ! Nous avons l’impression de croiser de vieux copains. Ces rencontres sont d’autant plus agréables, car nous sommes tous dans le même mood – un voyage aventureux et solitaire. Nous partageons rapidement nos expériences et nous souhaitons bon courage pour la suite (ce n’est pas la dernière fois que nous allons les croiser). Après 34 kilomètres dans les jambes, nous décidons de planter la tente et de profiter de la vue exceptionnelle.

Jour 7

— Derniers instants de solitude

DISTANCE

28,3 km

TEMPS

9H

DÉNIVELÉ

D+ 426 | D- 466

NUITÉE

Bivouac

Réveil glacial devant le glacier Vatnajökull

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la nuit fut froide. Au petit matin, la tente est complètement gelée et nos gants et les semelles de nos chaussures congelées. Heureusement, nous avions pris nos précautions et couvert les lacets ! Nous nous extirpons tant bien que mal de nos sacs de couchage. Dehors, le ciel est dégagé et les premiers rayons de soleil rougissent le glacier. Quelle beauté ! Mais il faut marcher pour avoir chaud, alors nous levons le camp rapidement. Passé un premier col, nous découvrons une autre plaine en contrebas, sillonnée par des dizaines de gués. Avec bonheur, nous décelons quelques collines à l’horizon. Avec ces kilomètres de plat, chaque dénivelé est un soulagement pour nos genoux. Nous savons également que ces monticules de terre sont potentiellement de beaux points de vue. 

islande_j6_pano_Vatnajökull
islande_j6_ mountain_sun_red
islande_j6_tente_msr_glacier_Vatnajökull

Prendre le risque ou changer d'itinéraire ?

Il est encore tôt, mais lorsque nous entamons la descente du col, nous faisons la rencontre d’un couple de marcheurs. Parti il y a déjà plusieurs semaines depuis l’extrême Nord-Ouest du pays, ils comptent également rejoindre le Sud. Au fil de la discussion, nous leur exposons notre itinéraire et ce fut la douche froide ! Ils nous indiquent qu’à cette époque de l’année, il est impossible de traverser l’un des gués de notre parcours (qui longeait initialement le glacier). Ils tiennent ces informations des rangers qu’ils ont consultées lors de la préparation de leurs voyages. C’est une grosse déception pour nous, mais le danger est trop grand. Nous ne pouvons pas risquer de nous retrouver bloqués à côté du glacier avec des conditions météorologiques instables. Pas le choix, nous devons faire un détour. Nous sommes restés (encore aujourd’hui) très frustrés du manque d’informations officiel sur la viabilité des chemins en Islande, mais le terrain est si aléatoirement inondé par endroit qu’il est presque impossible d’avoir des renseignements clairs. Il est néanmoins probable que nous aurions pu trouver ces informations en nous tournant vers les rangers islandais. Notre départ précipité pour ce trek en Islande a eu raison de nous ! Nous avons eu par ailleurs beaucoup de chance de tomber sur ce couple de randonneurs. Qui sait ce qui aurait pu arriver ? Maintenant que nous connaissons les conditions météorologiques des jours qui ont suivi, il est fort à parier que nous n’aurions pas autant apprécié le voyage… Passé cette amère révélation, nous décidons de contourner le glacier en rattrapant une piste empruntée la plupart du temps par les 4*4. Si vous suivez nos aventures, vous savez que nous aimons davantage les chemins de traverse, les petits sentiers inédits qui révèlent à ceux qui s’y égarent des paysages aussi incroyables que rares. Mais dans le cas présent, pas le choix ! Nous partons donc pour deux jours de piste afin de rejoindre le début du célébrissime Laugavegur trail ! Nous remercions nos sauveurs et reprenons le chemin.

Découverte des montagnes colorées

Aujourd’hui, la température est particulièrement basse, et cela malgré le grand soleil. Il fait si froid qu’une croûte de glace s’est formée sur les rives des gués. Cela nous permet d’en enjamber quelques-uns sans retirer nos chaussures. Pour les autres, il faut prendre notre mal en patience et serrer les dents. Depuis ce matin, un mal de ventre me déchire les entrailles. Je soupçonne donc que l’eau glacée que j’ai bue ce matin y est pour quelque chose. Pour me soulager un peu, Antoine fait tiédir de l’eau, ce qui a pour effet de me soulager presque instantanément. 

Nous reprenons du bon pied notre marche et atteignons maintenant un nouveau territoire : ce sont les montagnes colorées. Quelle beauté et quel plaisir de voir ces collines multicolores ! Si ce que nous venions de traverser était loin d’être monotone, les couleurs chatoyantes de ces monticules de nous ravissent au plus haut point. Parfois, nous apercevons des filets de fumées s’échapper des failles de la montagne. Il s’agit des fameuses sources d’eau chaude. Elles sont facilement identifiables grâce à leurs rives blanchâtres ou jaune vif, dues à l’écoulement du soufre. L’odeur puissante est un précieux indice. Nous sommes très heureux de pénétrer dans ce nouvel environnement. Ces vallons de couleurs au milieu des plaines rendent féérique le moindre point de vue. Contrairement à ce que nous avions connu depuis, le sol est gorgé d’eau. Nous évoluons à travers un tapis de mousse ocre et prenons bien soin de marcher dans les pas de nos prédécesseurs.

islande_j6_colorful_mounain_Vatnajokull_horizon

Après cette parenthèse pleine de couleurs, nous retournons rapidement les étendues de sables anthracite. Nous passons un col – un vrai cette fois ! Avec une belle pente raide dans les rochers comme nous connaissons chez nous ! La vue sur le glacier de Vatnajökull et ses milliers de filets d’eau qui déferlent sur le désert rendent le paysage fabuleux ! Nous nous accordons une pause pour admirer ce qui restera sans doute l’un des plus beaux points de vue de notre périple. Ce paysage nous laisse bouche-bé. C’est le vent glacial qui finira par nous déloger quelques minutes plus tard. Nous quittons déjà nos montagnes colorées pour descendre vers une nouvelle plaine. 

Nous ne reverrons jamais le soleil

Du haut de notre beau point de vue, nous prenons quelques minutes pour choisir judicieusement notre parcours. Devant nous, des dizaines de petits sillons se dessinent dans le sable. Ce sont des passages de nos prédécesseurs. Chacun est un potentiel chemin. Il s’agit de déterminer le ratio délicat entre kilométrage et passage de gué. 

« Comme toujours le vent souffle. Le ciel est scindé en deux. D’un côté, des nuages gorgés de pluies noires et menaçantes, et de l’autre un ciel dégagé, promesse d’un peu de chaleur. Le temps oscille continuellement entre les deux. »

Cette fois encore, le soleil bat en retraite et laisse la tempête s’installer. Il est à peine 17h quand la pluie commence à tomber. Il faut vite que nous nous montions la tente pour nous mettre à l’abri. Mais sur cette plaine interminable, il est impossible de trouver un endroit où nous cacher du vent. Finalement, après quelques kilomètres, nous abandonnons l’idée de trouver un endroit abrité et installons notre camp près d’une légère pente. La tente est vite montée, mais les piquets de maintien ne tiennent pas dans le sol meuble et humide. [Note à moi-même : prendre des piquets adaptés au sol !] [Autre note à moi-même : une tente autoportante était un excellent choix !] L’ergonomie du campement n’est pas vraiment optimale malgré tous les efforts d’Antoine pour construire un petit muret de pierres. Tant pis ! La fatigue de la marche a raison de notre perfectionnisme. Il faut à peine quelques minutes pour que nous nous endormions, bercés par le vent et la pluie qui ruisselle sur la toile de tente.

islande_j6_gue_drone

Jour 8

— Errance dans le désert islandais

DISTANCE

28,3 km

TEMPS

9H15

DÉNIVELÉ

D+ 491 | D- 735

NUITÉE

Bivouac

Le moral dans les chaussettes (humides)

islande_j7_lena_hardshell_bleu_desert_plasticbag

Le temps n’est pas au beau fixe. Si j’ai dormi d’un sommeil profond, la nuit d’Antoine fut tumultueuse. À deux reprises, la toile de tente s’est décrochée et est venue se coucher sur nos visages. “Je ne sais pas comment tu as fait pour continuer à dormir !” Pour ma part, on peut parler d’un véritable don ou d’un superpouvoir de bivouaquer ! Le camp est en piteux état. Il y a littéralement un trou sous le matelas d’Antoine dû au ruissellement de l’eau sous la bâche de la tente et qui a emporté le sable petit à petit. Il fait encore très froid ce matin et nous sommes trempés de la veille. Nous sentons depuis ces derniers jours que le temps se dégrade. En consultant les prévisions de la météo, nos soupçons se confirment. Un vent constant de 40 km/h et des rafales à 64 km/h sont annoncés la nuit prochaine. Trouver un endroit abrité pour le soir sera indispensable. Il faut donc que nous avancions.

Cette journée fut assurément la plus compliquée de notre trek en Islande. L’accumulation de la pluie, du froid et du brouillard est difficile à encaisser. Nous avons le moral dans les chaussettes (trempés). Nous marchons toute la matinée sans voir l’horizon, plongé dans une brume épaisse et glacée. De plus, une douleur aux tendons d’Achille droite se fait de plus en plus persistante et se prolonge maintenant jusqu’au genou. Nous essayons temps bien que mal de nous raccrocher à des éléments positifs : nos pantalons waterproof sont incroyables, les ponchos en plastique placé sous nos hardshell permettent de protéger nos couches inférieures des trombes d’eau.

islande_j6_blue_desert_tente_msr

Le temps se dégrade dans les Highlands

Peu à peu le temps se dégage et la pluie s’arrête. Nous nous arrêtons dans un petit canyon au bout d’une vingtaine de kilomètres. Une accalmie, un beau spot et un repas chaud, il ne faut pas plus pour nous remonter le moral. Le froid s’installe rapidement et nous devons reprendre la route. La piste nous semble interminable. L’horizon qui nous avait manqué le matin est maintenant un calvaire. Nous voyons le chemin se dessiner sur des dizaines de kilomètres. Des groupes de petits oiseaux virevoltent autour de nous. Qu’est-ce qu’on aimerait bien voler dans ces situations ! L’avantage de cette « vision d’ensemble”, c’est qu’il ne peut pas y avoir de surprises et il est possible d’anticiper où il sera préférable de monter le camp. Nous nous arrêtons au bout de 28 kilomètres, sur le flanc d’une colline sur laquelle nous pouvons nous abriter, car cette nuit des rafales à presque 60km/h sont annoncées. L’endroit n’est pas optimal, mais nous ne trouvons rien de mieux. La tente est montée, bien fixée cette fois-ci ! Nous vérifions une nouvelle fois la météo. Le constat est sans appel. Dans deux jours, des vents constants sont annoncés à plus de 70 km/h. Une vraie tempête ! Nous vérifions notre itinéraire et repérons une cabane à exactement 65 km de notre position. Nous n’aurons pas le choix de nous y réfugier, car nous savons d’or et déjà que notre tente ne supportera pas de telles rafales.

Il est temps que nous nous endormions. Les prochaines heures seront éprouvantes.

Jour 9

— Clap de fin

DISTANCE

7 km

TEMPS

2H30

DÉNIVELÉ

D+ 140 | D- 49

NUITÉE

Hotel

Une décision de raison

 Je vais couper court à tout suspense : à notre grand regret, le trek en Islande s’est arrêté ce jour. 

À peine réveillés, nous avons consulté la météo. Le constat fut sans appel. La tempête annoncée dans deux jours arrive plus vite que prévu – le soir même. Nous devons trouver un abri rapidement, car des vents constants à 75 km/h et des rafales à 140 km/h sont annoncés dès 15h. Il nous reste encore plus de 65 km à parcourir pour atteindre une cabane dont nous ne connaissons pas l’état. Impossible de savoir non plus si celle-ci est vraiment ouverte. La décision est vite prise : nous devons nous mettre en sécurité, car jamais notre tente ne pourra supporter un tel climat, en particulier dans cet environnement plat, sans possibilité d’orienter la tente derrière un rocher.

La déception de cet arrêt brutal passe très vite, car nous sommes avant tout préoccupés par l’urgence de la situation. Heureusement, nous nous trouverons sur la piste F26, qui traverse les Highlands de part en part. Il n’est pas impossible que nous croisions une voiture. Nous décidons de nous mettre en route en croisant les doigts pour que quelqu’un passe et accepte de nous amener dans la ville la plus proche. Nous qui recherchions la solitude, nous voyons maintenant le revers de la médaille. Nous démontons le camp et prenons la route sous la pluie. Marcher a une autre saveur. Les kilomètres s’enchainent dans le silence. Nous guettons le moindre bruit de moteur. Tiraillée entre la fatigue et le stresse, j’ai continuellement l’impression d’entendre des pneus sur le sable. Mais, ce n’est que mon imagination.

À 10 h 30, alors que ma tête fantasme de nouveau un moteur, Antoine s’arrête. C’est une voiture que j’endente. Une incroyable Toyota tout-terrain aménagée roule en notre direction et s’arrête à notre niveau. Un homme descend la vitre. Une femme se trouve à ses côtés. Nous sommes en piteux état. « Do you need help? » Je dois me retenir pour ne pas pleurer et lance un petit « Yes ». En deux temps, trois mouvements, l’homme et la femme attrapent nos affaires et nous indiquent de monter dans le truck. Nous sommes à l’intérieur du 4*4 en sécurité. C’est bon. Tout va bien ! 

Quelle ne fut pas notre surprise de retrouver dans la Toyota, nos amis irlandais Ruari et Dave ! Eux aussi n’ont pas fière allure, mais nous sommes contents de nous retrouver ainsi ! À l’arrière du 4*4 de nos sauveurs, nous parlons de nos péripéties, de la tempête qui arrive, mais surtout de nourriture ! Nous roulons quelques heures. Par la fenêtre, nous voyons défiler les kilomètres. Les nuages sont bas et noircis. Nous nous arrêtons dans une station-service au croisement de deux pistes.  Il y a un petit restaurant et un hôtel. Quelques voitures sont garées devant. Toute la troupe décide de s’arrêter manger. Lorsque nous pénétrons dans le hall, trempé jusqu’à l’os, nous redécouvrons la civilisation. Habituellement, ce moment n’est pas très agréable, mais dans la situation présente, l’idée de manger quelque chose de frais et consistant nous ravit. Burger pour tout le monde ! Nous nous installons à une table à côté d’autres routiers. La télévision est allumée devant nous et diffuse en boucle un message d’alerte. Nous comprenons tous rapidement que toute l’ile est en vigilance rouge vent violent et neige ! Les autorités recommandent aux habitants de rester chez eux. Dave, Ruari, Antoine et moi prenons vraiment conscience de ce qui aurait pu arriver. Nous apprendrons plus tard qu’un pont que nous devions emprunter sur le Landmannalaugar s’était effondré et que 30 cm de neige avait recouvert le centre du pays.

Retour à Reykjavik

Arrêter cette incroyable aventure n’était pas une décision difficile à prendre, car elle était avant tout nécessaire. Pour autant, la frustration de ne pas avoir achevé ce périple est (toujours) bien là. Nous aurions adoré continuer cette expédition, d’autant plus que nous nous engagions sur des environnements montagneux très différents de notre début de trek. En ce qui concerne le Landmannalaugar, ce n’est que partie remise. Nous savons qu’un jour ou l’autre, nous complèterons ce trek en Islande. 

Nos sauveurs nous proposent de nous déposer tous à Hella, d’où nous pourrons prendre un bus pour rejoindre Reykjavik. Évidemment, nous acceptons. Le paysage change petit à petit et devient de plus en plus verdoyant. Nous approchons de la côte. Dernière photo ensemble et nous devons nous dire au revoir. Dave et Ruari décident de passer la nuit en ville. Nos chemins se séparent, car nous prenons un bus en direction de Reykjavik, où nous prendrons une bonne journée de repos. Arrivé à notre hôtel, confortablement allongé dans le lit, nous avons du mal à imaginer que 24h plus tôt, nous étions au milieu du désert. Encore exténué de cette épreuve, nous n’avons d’une idée en tête : profiter de ces deniers jours en Islande pour découvrir une autre facette de ce pays. Rapidement, un road-trip dans les Westfjord apparait comme une très belle alternative…

— Map de notre trek en islande

Cette carte est une trace gpx des différentes étapes, camp et parcours que nous avons parcouru durant notre trek en Islande afin de vous permettre d’avoir un aperçu rapide de l’ambition de celui-ci.

Nos autres articles sur
l'Islande

Articles sur nos
Micro-aventures

Une réponse

  1. Merci pour ce retour d’expé hyper éducatif !
    A quelles dates avez vous réalisé la traversée ? Avec du recul, un mois en particulier à conseiller ?
    Avez-vous eu besoin de crampons ou autre équipement plus hivernal sur certains passages ?
    Est-ce jouable de passer une partie sur le glacier ?
    Merci pour toutes ces infos

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *